Nous étions les Mulvaney

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 Ce roman de Joyce Carol Oates, romancière mésestimée aux Etats-Unis et méconnue en Europe, narre les aventures d’une famille américaine, rurale, dans les années 70 et 80 dans l’Etat de New York, au Nord-Est des Etats-Unis.

La famille Mulvaney vit dans un Etat héritier du puritanisme de la Nouvelle Angleterre. Ils votent Carter, Démocrates, mais sont assez conservateurs et pieux.

La famille, composée d’un couple et de ses 4 enfants, se partagent entre la vie à la ferme et l’entreprise de charpentes, très rentable dans les années 70.

 Tout se passe bien jusqu’au viol de la fille Mulvaney, Marianne. A partir de ce moment là la famille sera marginalisée puis devra quitter la communauté – les victimes sont devenus coupables et rien ne doit troubler la quiétude de la tranquille communauté de Mont Ephraïm.

 La première partie du roman est donc un brûlot contre la société puritaine, conservatrice, lâche et hypocrite des campagnes des Etats-Unis. La même qui a massacré les indiens d’Amérique, sûre de son bon droit, qui a brûle les femmes émancipées à Salem et qui a voté contre Obama.

 Mais le roman devient grandiose, passionnant, dans sa seconde partie. La famille, éparpillée, va se reconstruire petit à petit malgré la bêtise ambiante. Marianne va retrouver goût à la vie et confiance en elle dans une communauté autogérée. Patrick, son frère, va explorer le monde des sciences… Leur mère Corinne essaiera d’ouvrir un magasin d’antiquité. Cette renaissance sera entachée, entravée par le désir de vengeance contre le jeune violeur, et ce crime qui hante la famille.

Vont-ils se venger ? Comment ? Qui dans la famille déclenchera les hostilités ?

 La première partie, classique tout en étant magistralement écrite, s’efface devant la seconde qui explore les fantômes familiaux. Les individus se reconstruisent tout en étant confrontés aux douloureux souvenirs. Seule la vengeance pourra les exorciser.

 La très grande originalité de l’œuvre c’est qu’elle n’est pas, du tout, moraliste et montre bien comment plusieurs vies parallèles peuvent coexister chez les membres d’une famille ayant vécu un drame puis une exclusion « politique » et sociale très forte. Ce sont les membres de la famille qui se vengeront qui s’en « sortiront le mieux », ainsi que ceux qui auront totalement coupés avec leur passé. Le père (Michaël), par contre, incapable de passer à l’acte et de se créer une nouvelle vie, vivra une véritable descente aux enfers.

 

Ce roman a été très mal accueilli aux États-Unis, sauf par des universitaires, des littéraires ou la « Nouvelle gauche » ; il démonte le rêve américain et montre aussi comment lui survivre.

 Pourtant les plus belles pages, les plus émouvantes, sont celles sur la ruralité et le lien profond qui attache les Mulvaney à la nature, à leur région. Ce roman est très complexe, ne décrit rien en blanc ou noir, mais montre comment la vie peut perdurer tant que la passion reste et tant que les personnes suivent leur désir ou rêve. Ainsi la famille exclu d’une communauté religieuse, trouvera secours à la fois chez des « anarchisants » (pour Marianne) et des religieux (pour Judd ou Corinne) ainsi que dans une communauté scientifique (Patrick). Rien n’est « donné » dans ce roman…

 Plusieurs thèmes, plusieurs histoires coexistent : Nous étions les Mulvaney plaira tout aussi bien aux amateurs de fresques familiales, de policier et de suspense, qu’à tous ceux attachés par l’exploration des profondeurs humaines et sa complexité. Sans cesse le présent coexiste avec le passé.

 Il est pourtant écrit de façon magistrale, se laisse lire sans douleur (simple d’accès) mais avec un style imposant, sensible, prenant.

 Un très grand roman. Sans doute le meilleur que j’ai lu depuis 2 ans. 

 Alderan 

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