Réseaux d’échange de savoir, de nouvelles et minuscules entités sociales ?

Après avoir faibli ou quasiment disparu, les réseaux d’échange de savoir, avec d’autres initiatives type universités populaires, connaissent une nouvelle vigueur çà et là. Dans ce
cours texte je présente l’intérêt de ces formes de réseau.

Un RES, ce que c’est et comment ça marche

Vous trouverez les détails sur le site :

http://www.rers-asso.org/

Voilà une présentation personnelle, issu de mes visites dans différents RES :

Un RES propose, dans un cadre associatif, des échanges de savoir libres entre participants sur la base de séances partagées entre celles et ceux qui veulent y participer. Il y a un
animateur, de la séance, qui a un savoir particulier (ex : des bases en norvégien) et d’autres qui apprennent ce savoir. L’animateur est bénévole, il peut recevoir une formation courte de la part de l’association. Les animateurs changent à tour de rôle, selon le flux des échanges : Lucienne peut apprendre les bases en norvégien, en échange elle donnera des cours de base sur la diététique.

Les échanges se déroulent souvent dans des locaux associatifs de quartier (villes), communaux ou intercommunaux (ruralité) et sont encadrés par des animateurs. Souvent, chacun peut être animateur à tour de rôles. Celle ou celui-ci regarde le bon suivi des chartes (voir exemples sur le site : non-discrimination, ouverture sur la question du handicap,
respect de chacun-e dans sa diversité), des plannings, de l’accès aux salles.

En plus des animateurs, il y a un coordonnateur qui se charge de l’aspect pratique, qui sert d’arbitre pour la répartition des salles et qui gère le planning et/ou d’éventuels conflits,
inhérents à la vie en groupe.

Les RES sont très libres de fonctionnement. Il y a un tableau qui regroupe la demande (besoins de cours en anglais, en informatique, besoin de savoir faire des boutures…) et une autre l’offre (cours de japonais, initier à la manille, médecine naturelle). Selon ce
que chacun offre ou demande, chacun s’inscrit à une activité ou en propose une
sur le tableau puis prend contact directement avec l’animateur de l’activité.

Le rôle des coordonnateurs c’est de proposer à des moments des activités communes à tous les participants afin d’éviter les éclatements. Sinon les RES sont donc très libres. Par exemple aujourd’hui je peux m’inscrire à des cours de japonais, téléphoner pour
connaître les prochains, et proposer en échange de faire des cours de danse
pour postuler au prochain clip de Lady Gaga (j’invente…)

Le libre jeu de l’offre et de la demande, cette fois-ci bien innocent, se met alors en place. Un RES est en effet un marché où l’on troc des savoirs sans tenir de mesure fixe : je peux donner deux heures de cours d’anglais et n’avoir qu’une heure de jardinage en échange si je n’ai besoin que d’une heure « à un moment T »

Recréer un tissu, des entités sociales

 

Lorsqu’on va voir ces structures (différentes les unes des autres selon la localité) on se rend compte et notamment dans les quartiers HLM ou zones rurales) que ces RES sont un point de rencontre avec la population qui sont difficilement incontournables, entre
communautés françaises et communautés immigrées. C’est un vecteur de brassage social
et de brassage intergénérationnel.

Ainsi, dans la commune où j’habite, il y a aussi bien des jeunes « théâtreux alternatifs », que des « retraités » doués en jardinage, des « français » bien implantés que des familles issues de l’immigration turque ou sud-asiatique. Les activités proposées vont de la cuisine asiatique à la mise en place de pièces de théâtres très « djeunes électro-déchaînés ». Et par contre, le quotidien est aussi fait de « on joue aux cartes, au domino » ce qui est souvent un prétexte, pour des retraités, de maintenir un lien social défaillant. Ce qui est « marrant » c’est que des « français bien implantés » prennent des coutumes de l’immigration marocaine ou algérienne avec un jeu de dominos, par exemple, qui est prétexte à conversation (d’ailleurs souvent les dominos sont posés machinalement pendant que les personnes discutent d’autres choses, des petits enfants ou de la gestion de la
commune, de la crise grecque ou du chômage des plus jeunes).

La forme (l’organisation) des RES fait que les groupes se croisent dans des
activités qui réunissent tout le monde et où les échanges existent. Il y a une forme de brassage culturelle et intergénérationnel très important, très éloigné de l’image « occupationnelle ».

De même, les RES sont très contrastés selon les localités – ils dépendent de ce que chacun apporte (comme dans tout) – il ne faut pas en avoir une vision de consommateur mais de « pro-actif » – l’ambiance des RES dépend de ce que chacun apporte et d’éventuelles critiques impliquent l’action. Bref, il s’agit de se comporter en adultes.

La question du sens

Cette image brossée peut paraître idyllique, disons qu’il s’agit des objectifs des réseaux
d’échanges de savoir. Ceux-ci peuvent en fait très bien rester dans des activités « à la mode » type informatique / internet, jardinage, cuisine, et déco, très tournée vers l’intérieur en somme.

Un RES n’a pas, a priori, à avoir de sens. La finalité serait d’accroître le plaisir d’apprendre et l’autonomisation des personnes.

Après des années de somnolence, leur nouvel essor va de pair avec celui des universités populaires.

Ce sont des lieux où les personnes sont à l’écoute et sont prêtes à essayer de nouvelles activités, y compris peu orthodoxe : la cuisine japonaise, la philosophie de Deleuze, es ateliers d’écriture subversive, que sais-je… Le sens, encore une fois, est
apporté par chacun.

Je pense déceler un sens sous-jacent : la volonté de se réapproprier la vie par le savoir et les compétences autrefois réservées au seul expert. Bien entendu, personne ne peut s’improviser électricien ou chirurgien, les RES n’abordent pas d’ailleurs ces
sujets aussi pointus, néanmoins on peut tous être un peu jardinier, ou un
jardinier moyen, intéressés par des procédés bio et écologiques.

Par contre, une fois la sociabilité élargie ou un éventuel isolement rompu, les groupes ne croissent plus : on vient chercher des savoirs, de la chaleur humaine et on se
contente du groupe nouvellement formé. Les RES ne sont pas un projet société, mais cela peut être un élément de recomposition d’identités sociales, alors mêmes que les corps intermédiaires classiques (partis, religions, syndicats) sont mal en point en tant qu’entités vivantes, croissantes, et porteuses d’avenir.

RM, 10 et 17.07.11

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